Joëlle Darricau, peut-on s’étonner qu’un site privé tel que les Grottes d’Isturitz et Oxocelhaya soit patrimoine de l’Humanité ? J.D. : En effet, cela étonne toujours les visiteurs. Le terrain (par extension, le sous-sol) appartient à ma famille installée dans la région depuis plusieurs générations. Mes ancêtres connaissaient l’existence de la grotte d’Isturitz mais ils n’imaginaient pas les trésors archéologiques que la grotte détenait…
Alors quel a été l’élément déclencheur ? Racontez-nous un peu… J.D. : grand-père « Aitatxi » André Darricau a eu, je dirais, une surprise totale au début du 20ème siècle. Dès qu’il a eu confirmation qu’Isturitz était un gisement préhistorique,il a abandonné sa carrière d’architecte pour se consacrer entièrement à organiser les recherches. Il fait entre autres venir d’éminents préhistoriens ! A ce moment-là, sa vie devient dès lors totalement indissociable de celle des grottes.
Et entre temps, en 1929 la grotte d’Oxocelhaya est découverte ? J.D. : tout à fait ! Et les choses se sont vite enchaînées. En 1950, mon grand-père aménage les grottes pour la visite et les ouvre au grand public, chose qui lui tenait à cœur. En 1953 il les fait classer Monument Historique. La consécration !
Qu’en est-il aujourd’hui ? J.D. : Darricau, pionnier et visionnaire en matière de développement touristique et culturel en milieu rural, avait vu juste : le site des grottes d’Isturitz et Oxocelhaya a pu fêter ses 50 ns d’ouverture au public en 2003. Aujourd’hui, autant lui que nous (sa descendance) avons à cœur de conserver un juste milieu entre tourisme et recherche scientifique, développement et protection.
Vous avez repris le flambeau, pourrait-on parler de saga familiale ? J.D. : Et oui, on peut dire qu’il s’agit d’une véritable saga qui s’est jouée à partir des premières découvertes archéologiques, la destinée de toute une famille ! Et chacun de nous est très impliqué. A chaque génération incombe la responsabilité de protection et de développement de ce magnifique et lourd patrimoine souvent objet de convoitises diverses. Ce rôle devient heureusement une passion, car une osmose totale se crée avec le lieu que nous finissons par traiter comme une personne, avec toute la considération due à une Dame âgée, attachante et fragile. A tel point que nous en arrivons même à lui tirer quelques traits de caractère !! Au final, c’est toujours Elle qui commande !!!
Tout ça n’est pas un rôle facile, cela ne s’improvise pas ? J.D. : ce n’est pas faux, car par la force des choses, nous devenons en quelque sorte « le cerbère » des lieux et le maillon d’une énorme chaîne commencée il y a quelques 1500 générations… Nous avons alors pour mission de faire avancer la connaissance de ces lieux. J’aime prendre la référence du Larousse, dans lequel le mot « sacré » « doit inspirer un respect absolu, inviolable ». Et c’est un peu ce que je ressens. Elle a pu être un temps désacralisée à cause d’une méconnaissance, profanée à cause d’un manque de conscience.
J.D. : Heureusement que mes enfants Emeric, Pantxika et Teexa, mes petits enfants Daniel, Isabela, Mikel, Julia et Amaia, partagent l’amour de ce site avec tous ceux qui le font vivre jour après jour, chacun y apportant ses compétences et son savoir-faire. Le site est actif, surtout pas de « macération morose » comme dirait Françoise Giroud. Pas non plus d’activité « commémoratrice » de l’histoire de la préhistoire, la grotte n’aimerait pas ça !! Elle vit aujourd’hui au présent.
Quel message souhaitez-vous faire passer à vos visiteurs ? J.D. : Le patrimoine est un héritage enrichi d’un vécu, faisons le vivre… et surtout, partageons !! L’idée de patrimoine ne doit pas seulement évoquer le passé, elle suppose des actions innovantes, en cohérence, en harmonie, dans une continuité d’expressions. Aux affirmations d’hier correspondent les questions d’aujourd’hui : « Qui étaient les Hommes de la Préhistoire ? Qui sommes-nous vraiment ?… » La visite de ces grottes ne vous laissera jamais indifférent(e). Les sensations éprouvées, les sons, les odeurs, les images que vous gardez gravées dans votre mémoire vous appartiennent. C’est le cadeau que fait la grotte aujourd’hui à qui pénètre avec l’âme d’un enfant.
Une conclusion ? J.D. : Une conclusion, non, mais une réflexion, oui. Les Hommes de la Préhistoire nous ont laissé de quoi réfléchir. Arrivé au troisième millénaire, nous avons encore de grandes leçons à tirer de leur art de vivre. Je suis convaincue que le calme de la Vallée de l’Arberoue, campagne authentique est propice à cette réflexion. Ce lieu privilégié, indestructible, fort comme un roc, chargé de milliers d’années d’histoire génère une énergie bénéfique. Ce point d’ancrage immuable et fort nous lie avec « l’Avant ». Spectateurs du passé, nous devenons acteurs pour l’avenir. J’aimerais souligner qu’ici, c’est toute une équipe qui, chacun à sa mesure, veille avec amour et le plus souvent avec passion, au maintien, à la protection et à la mise en valeur de ce patrimoine. Conscient de la richesse de celui-ci, chacun a le souci de transmettre aux générations futures l’histoire de l’Homme qui a vécu sur la colline de Gaztelu.